Loin d’une Assemblée unicolore et terne, comme le prédisaient ou le redoutaient certains, le Palais-Bourbon devrait être un lieu d’échanges animés, avec l’élection de tribuns comme Jean-Luc Mélenchon ou encore Marine Le Pen.
Dès dimanche soir, le porte-parole de La République en marche, Benjamin Griveaux, a qualifié de « bonne nouvelle » l’existence d’une « opposition » face aux 350 élus REM et alliés MoDem.
Numériquement, elle sera d’abord incarnée par la droite (131 sièges), mais une partie des élus LR et UDI envisagent de soutenir au coup par coup la majorité. Les voix les plus fortes risquent donc de venir plutôt de LFI et du FN.
Or leurs chefs de files, jamais députés mais jusqu’alors eurodéputés, sont tous deux des bretteurs qui comptent peser, Mme Le Pen avec 7 autres députés, M. Mélenchon avec 16, ce qui lui permettra d’avoir un groupe d’emblée et donc davantage de temps de parole. Le leader de LFI s’est posé au soir du second tour en rassembleur de « ceux qui veulent entrer dans la lutte », Marine Le Pen dépeignant le FN comme « seule force de résistance à la dilution de la France ».
Parmi les voix fortes à leurs côtés, pour LFI, celles de François Ruffin, réalisateur du documentaire césarisé « Merci patron! », des porte-parole Alexis Corbière et Eric Coquerel ou de la féministe Clémentine Autain. Côté FN, Gilbert Collard et Louis Aliot.
Le socialiste Julien Dray a souhaité lundi « bien du plaisir au futur président de l’Assemblée ».
« Parce que quand vous avez M. Ruffin, Mme Autain, M. Mélenchon, M. Coquerel, d’un côté – et je ne vais pas faire d’assimilation-, de l’autre côté une opposition emmenée par Marine Le Pen plus la droite, et que vous avez un groupe de parlementaires qui ne sont pas expérimentés et qui ne sont pas forcément des +ténors du barreau+, ça ne va pas être simple », a-t-il lancé.
– Des tribuns 2.0 –
Combien de députés REM « feront le poids » face à certaines « grandes gueules » FN et LFI?, s’interroge l’historien François Durpaire.
Rappelant que « dans notre imaginaire collectif, les grands tribuns, c’est la IIIe République », avec des figures comme Jules Ferry, Georges Clemenceau, Jean Jaurès ou Léon Blum, il observe que, dans la période récente, la rhétorique était « moins présente, moins forte ».
Evoquant auprès de l’AFP un retour de tribuns « 2.0 », ce consultant pour plusieurs chaînes télévisées juge que le « temps médiatique » va « démultiplier » leur parole. Une élue REM inconnue va ainsi « moins intéresser BFMTV que Jean-Luc Mélenchon », dont l’intervention sera vue « dix fois ».
Pour l’historien, ils seront donc « 300 et quelque d’un côté et quelques dizaines de l’autre », mais « en puissance de parole, le différentiel numérique sera peut-être compensé ».
La sémiologue Mariette Darrigrand observe aussi que ce sont « des tribuns médiatiques », ce qui « manquait ». Ces élus « nourris par la pensée idéologique », sont « diamétralement opposés à Macron, qui a quand même de l’idéologie, mais qui parle plutôt au nom de l’empirisme », « deux manières de faire de la politique », remarque-t-elle.
Selon Luc Rouban, chercheur au CNRS (Cevipof), la situation de ces « tribuns » est « un peu dictée par le décalage entre la présidentielle et les législatives »: ainsi M. Mélenchon et Mme Le Pen « deviennent des porte-parole d’une contestation sociale qui a été très forte à la présidentielle », phénomène auquel s’ajoute une abstention record.
« C’est le retour des imprécateurs », dit-il. « Mais le problème, c’est qu’institutionnellement, ils n’auront pas beaucoup de pouvoir », observe le chercheur.
« Est-ce que dans l’opinion, leur parole comptera vraiment, ou est-ce qu’il y aura une forme d’apathie chez les classes populaires et de patience chez les classes supérieures? », s’interroge-t-il, ajoutant qu’il ne faudrait pas que la victoire de REM cache le « potentiel explosif » de la contestation.
Avec AFP