L’Assemblée nationale, pour laquelle les candidatures seront closes vendredi soir, va connaître un afflux de « nouveaux visages », peut-être record depuis 1958, qui pourrait « servir le gouvernement » par manque d’expérience des novices, au côté d’élus plus « professionnalisés », observe le sociologue Étienne Ollion.
Dans « Métier: député » (éd. Raisons d’agir), dont il est co-auteur, ce chercheur au CNRS spécialisé en sociologie politique a retracé les carrières depuis les années 1970.
Q: Quel est le tableau actuel de l’Assemblée, celui que l’on ne verra plus en juin?
R: « On observe une tendance de fond depuis 34 ans, résumée par le terme de professionnalisation. Il y a, d’une part, le développement de véritables cursus politiques: en 2012, 33% des députés avaient été des auxiliaires politiques, c’est-à-dire assistants parlementaires, collaborateurs d’élus, permanents de partis, alors qu’ils n’étaient que 14% dans les années 1970. Souvent, ces positions d’auxiliaires servent de marche-pied vers une carrière en politique.
D’autre part, la longévité en politique s’accroît: les députés de 2012 avaient passé en moyenne douze ans activement en politique (au-delà du militantisme), contre six ans pour leurs homologues de 1978. Autrement dit, pour accéder au premier échelon national de la politique, la file d’attente a atteint plus d’une décennie ».
Q: Faut-il s’attendre à une révolution des profils?
R: « Tout d’abord, la loi sur le non-cumul des mandats va entrer en application, et des députés qui se seraient a priori représentés préfèrent rester maires – c’était le cas d’Édouard Philippe au Havre. Certains considèrent avoir plus de moyens et de ressources pour mener une carrière politique en étant maire d’une moyenne ou grande ville qu’en étant un député parmi 577.
L’effet combiné de cette loi et de la tectonique des plaques politiques en cours, avec l’émergence de La République en marche, font que le futur tableau est assez incertain. Mais l’on peut s’attendre à plus de 250, voire 300 nouveaux députés. Cette barre n’a été franchie qu’une fois, en 1958, avec 310 primo-députés.
Pour autant, parmi ces nouveaux visages et notamment ceux présentés comme de la société civile, on retrouve des parcours très classiques. Dans la liste des investis par La République en marche dits de la société civile (environ la moitié des 522 candidats), figurent au moins une quinzaine d’auxiliaires politiques ».
Q: Quels changements ces nouveaux députés peuvent-ils induire?
R: « Les députés moins expérimentés en politique vont modifier l’atmosphère de l’Assemblée. Cela s’est vu avec l’arrivée de Podemos en Espagne: certains ne respectaient pas les codes, venaient sans cravate, interpellaient ou prenaient à partie.
Au-delà, les nouveaux députés n’auront à priori pas l’expérience des rouages, la fine connaissance d’un dossier ou des finances publiques, qui sont souvent les seules choses auxquelles se raccrocher pour tenter d’agir en contre-pouvoir efficace face à l’exécutif. L’Assemblée ayant des pouvoirs et moyens d’expertise plutôt limités par rapport à l’exécutif, le fait d’avoir nombre de novices peut en quelque sorte servir le gouvernement.
Enfin, les parlementaires de La République en marche, qui arriveront dans la roue du président et lui devront leur élection, seront les meilleurs atouts d’une présidence très +présidentialiste+, ce que revendique Emmanuel Macron. Il a prévu qu’ils signent un +contrat avec la Nation+, ils devraient être très disciplinés. Derrière l’idée du renouvellement, on a de fortes chances de voir un retour à la Ve République des origines ».
Avec AFP