Choisir son temps de parole, ses thèmes, ses questions… les candidats à l’élection présidentielle en France se sont affranchis des « contraintes » médiatiques grâce aux réseaux sociaux qui permettent de contourner les médias au risque de ne s’adresser qu’à un public déjà acquis à leur discours.
« Caste médiatique », « système » ou « chasse à l’homme » : certains ont eu des mots très durs envers médias et journalistes qui, selon eux, ignorent les moins connus, dénaturent leurs propos ou se concentrent exclusivement sur les affaires, refusant ainsi de parler du fond.
Ils ont donc pris d’assaut Facebook, Twitter et YouTube, car « les réseaux permettent d’en finir avec les intermédiaires et de s’adresser directement aux citoyens sans devoir répondre aux questions des journalistes », explique à l’AFP le spécialiste en communication politique, Philippe Maarek.
L’exemple le plus abouti de cette volonté de contourner les médias aura été celui de la chaîne YouTube de Jean-Luc Mélenchon, le leader de la gauche radicale française arrivé en 4e position au 1er tour le 23 avril, avec 19,5% des voix, soit 7 millions d’électeurs, un score historique pour lui.
Avec plus de 355.000 abonnés, il est de loin le 1er « YouTubeur politique”, force de frappe non négligeable avant des législatives en juin où son mouvement entend incarner l’opposition quel que soit l’occupant de l’Elysée.
L’artisan de cette chaîne, Antoine Léaument, explique à l’AFP que dans les médias traditionnels, les candidats n’ont ni le temps de développer leur programme ni le choix des thèmes abordés. Ainsi, grâce à YouTube, le tribun a pu réaliser une émission de cinq heures exclusivement dédiée au chiffrage de son programme. Impossible dans un média classique, notamment à cause de la réglementation du temps de parole imposée par l’autorité de régulation de l’audiovisuel.
« Beaucoup de politiques pensent que Facebook et Twitter sont des jeux pour la jeunesse. Ils ne voient pas qu’ils permettent la construction d’une conscience collective », déclarait Jean-Luc Mélenchon dès 2015.
– Retour de la ‘propagande’? –
Ce phénomène touche toutes les démocraties : en Espagne, le leader du parti de gauche radicale Pablo Iglesias dispose de sa propre émission d’entretiens « Otra Vuelta de Tuerka », diffusée à la fois sur Youtube et une télévision locale madrilène.
En Italie, le Mouvement 5 étoiles est né sur internet, articulé autour du blog de son leader Beppe Grillo qui, durant ses premières années, avait refusé tout contact avec les journalistes. Tandis qu’aux Etats-Unis, Donald Trump avait lancé à la fin de sa campagne une émission quotidienne diffusée en direct sur Facebook afin de contourner les « médias corrompus ».
Mais les réseaux sociaux ne prêchent-ils que les convaincus? Pour Antoine Léaument, tout dépend du réseau. « Sur Facebook, l’algorithme nous enferme dans une bulle et nous nous adressons principalement à nos militants, mais sur YouTube, l’algorithme fonctionne par thématique », précise-t-il, « ce qui élargit l’audience » et en fait « un média de masse ».
Alors qu’un sondage révélait en mars que 74% des moins de 25 ans s’informent sur les réseaux sociaux, l’absence de contradicteurs inquiète.
« C’est le retour de la propagande ! », s’emporte l’historien Christian Delporte. « Il n’y a plus de relais, on est face à une +démédiatisation+, une tentative de priver les journalistes de la parole au nom de la vérité ».
Une approche nuancée par le chercheur en sciences de l’information Arnaud Mercier, qui rappelle la forte tradition de presse d’opinion existant en France.
« Dans les années 50, les ouvriers ne lisaient que L’Humanité (journal du Parti communiste français). En réalité, on ne lit que le point de vue qui nous convient bien », souligne-t-il. « C’est une tendance naturelle qui n’est pas propre aux réseaux sociaux. Ceux-ci ne font qu’amplifier une dynamique qui était déjà à l’oeuvre ».
Avec AFP