A Trois Sauts, petite commune au fin fond de la Guyane française, les amérindiens Wayampi n’ont jamais vu le visage des deux finalistes de la présidentielle. Ils n’ont ni télé, ni électricité, ni affiche des candidats. Et s’apprêtent à voter, perplexes, pour le second tour samedi.
« C’est difficile de choisir. On ne sait pas pour qui on doit voter », soupire Georges, un jeune adulte Wayampi, l’un des six groupes autochtones de ce territoire français d’Amérique du sud. Son village, tout proche du Brésil, est uniquement accessible par hélicoptère ou cinq à douze heures de pirogue.
Organisé dimanche en France métropolitaine, le scrutin – qui oppose la cheffe de l’extrême droite Marine Le Pen au jeune centriste Emmanuel Macron – s’ouvre dès samedi sur le continent américain.
« Marine Le Pen, je ne la connaissais pas, mais j’ai parlé avec mon père qui m’a expliqué beaucoup de choses sur son père Jean-Marie Le Pen », précédent patron du Front national, explique Frédéric, fils d’un des chefs coutumiers assis à l’ombre d’un toit en tôle.
Pour Marius, 21 ans, qui a quitté l’école à l’adolescence, « lorsqu’on vote, après, le président ne pense pas à nous. On ne connaît pas les candidats, et on ne sait pas à quoi ça sert l’élection ». Malgré tout, explique un autre homme assis à ses côtés, « samedi, c’est le jour du vote, alors on vote ».
Comme beaucoup de citoyens de ce périmètre autochtone qui regroupe 84 lieux de vie, en quasi autarcie alimentaire, Frédéric n’a jamais vu le visage des candidats.
« On n’a pas vu la photo d’Emmanuel Macron ni de Marine Le Pen, seulement celle de François Fillon », le candidat conservateur éliminé au premier tour du scrutin, explique ce jeune chasseur-pêcheur polyglotte. A ses côtés, l’un des chefs est en train de tresser des lianes pour confectionner un porte-manioc.
Cette année, en raison de la profonde crise sociale qui a paralysé la Guyane française pendant la campagne électorale, les professions de foi des candidats ne sont jamais arrivées. Une seule affiche – transportée par hélicoptère – a pu être amenée et accrochée devant la petite annexe de la mairie, celle de M. Fillon.
– ‘Ni lumière, ni électricité’ –
L’information parvient difficilement dans cette zone d’accès réglementé: un opérateur mobile la dessert mais le réseau est erratique, selon les riverains. Et il n’y a pas de télévision, faute de réseau électrique.
Malgré tout, le taux de participation au premier tour (49%) à Trois Sauts fut plus important que dans le reste de la Guyane, où près de deux électeurs sur trois se sont abstenus.
Pour le second tour, les avis sont très mitigés. « Je n’ai pas envie de voter pour rien », avoue Alban, en short et tee-shirt.
« Ils ne font rien pour nous, il n’y a ni lumière, ni électricité, on voudrait que le village se développe », retient Georges, regard tourné vers le fleuve Oyapock, qui marque la frontière avec le Brésil.
Au premier tour de scrutin le 23 avril, François Fillon avait obtenu le meilleur score, avec 160 voix sur 350 inscrits, juste derrière l’abstention (178).
Le jour du premier tour, « il y en a qui étaient à l’abattis (parcelle vivrière) et à la chasse. Ils n’avaient pas le temps, car ils faisaient la galette de couac (manioc) », explique Frédéric.
Marine Le Pen avait recueilli trois voix, Emmanuel Macron, une seule.
« Une dame à la mairie a dit qu’il ne faut pas voter pour les socialistes », raconte sous couvert d’anonymat une jeune maman ceinte d’un tissu aux motifs africains.
La localité est administrée par Joseph Chanel, un maire de droite impopulaire, condamné en 2008 pour « complicité d’orpaillage clandestin ».
« Il y a un élu de proximité, M. Chanel, qui est à droite », confirme à l’AFP Gamal Hooseinbux, secrétaire territorial du parti conservateur Les Républicains. « Dans des élections où tout le monde se connaît et parle un peu plus, ça permet de tourner l’électorat dans un sens ou l’autre ».
Avec AFP