Au lendemain d’une législative tourmentée, Évry, le fief de Manuel Valls, affiche plus que jamais ses divisions: tandis que la candidate de La France insoumise, qui conteste la victoire de son rival, entend déposer un recours, l’entourage de l’ex-Premier ministre dénonce une « campagne de haine ».
Entourée de son équipe de campagne, Farida Amrani, battue dimanche par 139 voix d’écart, est arrivée déterminée lundi matin à la préfecture de l’Essonne.
« Tricheur, tricheur », scandaient quelques heures plus tôt ses militants dans l’ambiance houleuse de l’Hôtel de Ville d’Évry, à l’adresse de Manuel Valls, qui venait de revendiquer la victoire. La candidate, syndicaliste de 40 ans, retient, elle, ses mots mais maintient: « Il y a eu des irrégularités. »
Après avoir évoqué un recomptage des voix – une opération impossible, les bulletins de vote ayant été détruits devant des électeurs, comme le prévoit le code électoral -, l’équipe de la candidate a expliqué « travailler sur les procès-verbaux et les cahiers d’émargement ».
Au cœur de leurs soupçons, les opérations de vote dans quatre bureaux d’Évry, où Manuel Valls, 54 ans, a été maire entre 2002 et 2012. Dans ces quatre bureaux, il n’y avait pas d’assesseurs. La candidate a également affirmé disposer de photos pour étayer ses accusations, mais sans donner plus de détails.
Leurs « observations », qui ont débuté en milieu de matinée, devaient se poursuivre tout l’après-midi, et peut-être les jours suivants. « On prendra le temps qu’il faudra », a assuré Ulysse Rabaté, suppléant de Mme Amrani. « On ne le fait pas pour s’amuser, mais dans le calme et la sérénité. »
L’objectif? Nourrir en parallèle un dossier pour le Conseil constitutionnel, où le ticket des Insoumis compte déposer un recours, dans le délai légal de dix jours.
La procédure, non-suspensive, n’empêchera pas l’ex-Premier ministre de siéger le 27 juin pour la session inaugurale de la nouvelle Assemblée, comme il l’a réaffirmé sur Twitter.
Par ailleurs, si le Conseil constitutionnel juge le recours recevable, il ne se donne aucun délai en matière d’instruction, qui pourrait durer plusieurs mois.
– « Climat anxiogène » –
Manuel Valls était arrivé en tête du premier tour le 11 juin au terme d’une campagne tendue menée en cavalier seul: la République en marche lui a refusé son investiture, tout comme le Parti socialiste, sa formation d’origine.
Au kiosque de l’Agora, centre culturel et commercial au cœur d’Évry, Christian, 47 ans, ne décolère pas de « l’attitude scandaleuse » de l’ex-Premier ministre. « Plutôt que de revendiquer tout de suite la victoire, il aurait dû attendre. Les gens sont déjà très remontés contre lui ici, il n’a fait qu’attiser les colères. »
Un proche de l’ancien Premier ministre, connu pour ses coups de sang, abonde: « Il ne fait encore que des conneries. Il rajoute de la tension alors qu’il devrait projeter une image humble et apaisée du combattant revenu d’entre les morts. »
Diffusées en boucle sur les chaînes d’information, les images d’échauffourées dans le grand hall de la mairie ont laissé un goût amer chez les électeurs.
« Ça donne un climat anxiogène », observe Annie, qui a voté Amrani. Cette infirmière de 56 ans dit « comprendre » la réaction de militants LFI: « Des gens n’ont pas l’air d’être entendus, c’est triste. »
Une scène « désolante » selon Abel, 62 ans. Cet électeur de Valls juge que Mme Amrani est « une mauvaise perdante » et ses partisans « des gens qui n’ont aucun sens de la politique et du respect des autres ». « On se serait cru dans une arène pour toreros! »
Le maire de la ville, Francis Chouat, qui a succédé à Manuel Valls en 2012, confie sa « meurtrissure » de voir « l’image de la ville ainsi dégradée par une poignée d’individus ».
Si ce fidèle dit avoir conscience que l’ancien locataire de Matignon « cristallise bien des choses », cela n’excuse pas « la campagne de haine, organisée pour défigurer le scrutin ».
Avec AFP