Ils ne votent pas, mais se retrouvent l’un des enjeux de la campagne: pour des migrants rencontrés entre les deux tours, la présidentielle rime souvent avec Marine Le Pen, dont ils évoquent le programme avec inquiétude.
Samedi dernier à Romainville, en banlieue parisienne, une trentaine de Soudanais et d’Afghans sont venus participer à la « présidentielle des exilé.e.s » organisée dans un ancien entrepôt par un collectif d’associations. Dessins aux murs, lectures de textes, mais aussi musique et barbecue: l’idée est « qu’ils puissent dire ce qu’ils veulent de cette campagne », explique Maëlle Bertrand, l’une des coorganisatrices.
Pour ces migrants fraîchement arrivés en France, et logés en centres d’urgence, une brève présentation de la campagne a été organisée en amont par une étudiante de Sciences-Po. « On a fait beaucoup de blagues au début parce qu’on ne pensait pas vraiment que ça se passerait comme ça. Et voilà, on voit que nos blagues, en fait, elles ne deviennent plus drôles du tout », explique Maëlle Bertrand.
« Je sais qu’il y a des élections entre deux candidats, Marine Le Pen et l’autre, Emmanuel, heu… » avance Moussa, un Soudanais, qui attend avec impatience d’avoir des papiers pour pouvoir s’inscrire à l’école.
Ce qu’il sait de la candidate Front national l’inquiète: « Il paraît que si elle gagne, elle renverra tous les étrangers chez eux, c’est une très mauvaise nouvelle pour nous. »
– ‘marginalisation des étrangers’ –
Sur ce sujet inscrit dans l’ADN du FN, Marine Le Pen a souhaité, dans le contexte de la crise migratoire, un « moratoire sur toute l’immigration légale », visant notamment le regroupement familial, un durcissement des conditions de naturalisation, et en ce qui concerne les réfugiés un retour « à l’esprit initial du droit d’asile » qui alarme les associations.
Une campagne « focalisée sur la marginalisation des étrangers et l’islamophobie », selon Ousmane, réfugié politique guinéen de 33 ans qui a gagné la France « parce que c’était 1789 », et « le pays des droits de l’Homme ».
« On est à l’ère de la mondialisation, on ne peut pas vivre en vase clos », ajoute le jeune homme au français impeccable, jugeant « vraiment inconcevable de mettre sur place des programmes qui marginalisent la liberté ». « Le programme de Mme Marine Le Pen, même si j’ai des petits doutes qu’elle soit élue, à mon avis elle ne pourra pas tout appliquer. »
A Paris, dans la cour de l’ancien lycée Jean-Quarré transformé en centre d’hébergement pour migrants, certains exilés prennent le duel entre les deux candidats avec scepticisme.
« Il y a des différences de personnalités. Mais il n’y aura pas de grand changement à cause du poids du système », estime Farid, doté d’un passeport libanais. « Regardez Trump. Il ne peut pas construire un mur, il ne peut pas renvoyer les Mexicains. Le système est plus fort que lui. »
– inquiétude et impatience –
Pour ces hommes éprouvés par un parcours difficile et ignorant encore s’ils pourront rester en France, la présidentielle peut sembler anecdotique. « A Jean-Quarré on regarde le foot », s’excuse Ikram, un Afghan.
« Certains sont plus concentrés sur les papiers », explique Kelvin Olisamuni, animateur nigérian de ce centre géré par Emmaüs Solidarités. Beaucoup de Soudanais et d’Afghans arrivés via l’Allemagne ou l’Italie voient leurs démarches compliquées par les règles européennes qui stipulent que la demande doit être traitée par le premier pays de passage.
Saïd, lui, compte bien obtenir ce précieux sésame pour « reprendre des études ».
« Je ne suis ici que depuis trois mois, mais je suis heureux, j’ai une bonne vie. Si Marine Le Pen était là je lui dirais: +Ne détestez pas les musulmans et les étrangers+. Tous les musulmans ne sont pas des terroristes, tous les réfugiés non plus », assure cet Afghan de 23 ans, ancien traducteur pour l’armée canadienne.
Saïd suit cette élection avec impatience. « Je n’ai pas la nationalité française, je ne peux pas voter. Dimanche je vais juste attendre les résultats pour voir qui sera notre président. »
Avec AFP